Goethe Ballet

Qui aurait jamais songé qu’il y eût chez Goethe matière à danser ? Et pourtant la preuve en est ici faite et bien faite. Répondant exactement à la commande, puisqu’il s’agissait d’abord d’écrire un argument de ballet pour Roland Petit, Michel Guérin lisant Goethe, n’aura donc fait que simplement déplacer le lieu de la danse : de la scène à la page. Goethe, nous dit Guérin, « n’écrit ni pour la critique ni pour l’opinion ; pas un auteur : un poète toujours ». On lui retournerait volontiers le compliment. Car ce texte de Guérin à propos de Goethe n’est ni d’un critique ni d’un essayiste, mais d’un poète exclusivement, pour qui la langue est un corps vivant dont les mots sont les gestes. Et cette danse sur la page, elle ne peut avoir lieu qu’en plein jour évidemment, fût-ce par temps d’orage. « Personne, depuis Sophocle, n’a autant que Goethe célébré la lumière. » Au point comme on sait, qu’il la veut blanche, inaltérable, s’opposant jusqu’au ridicule, à Newton et à son prisme. Chez Goethe, quoiqu’il en veuille, toujours le poète prend le pas sur l’homme de sciences.

« Jour », poème en prose et à danser, argument manqué d’un ballet qui n’aura pas lieu, advient donc précisément là où « l’improbable ballet, n’ayant rien acquis en forme, était devenu braise d’un vouloir. » Braise, le mot est faible et l’auteur modeste. On dirait mieux flamme d’un désir, quand la braise met le feu aux mots et que la danse devient corps dansant d’une femme.

Philippe Boyer,

Le Nouvel Observateur (26 août 1983)